Ile Maurice: Corruptions alléguées, appel d’offres douteux, emplois fictifs, probables irrégularités électorales, enquêtes de police obscures et morts suspectes déguisées en suicides… Les scandales se suivent et de véritables intrigues se jouent à l’échelle de tout un pays. Le gouvernement mauricien est accusé d’être un véritable système mafieux semant la peur dans le pays. 2021 risque d’être une année charnière dans l’histoire de la bonne gouvernance dans ce petit bout de paradis.
Plus connue comme une destination soleil, toute l’île Maurice est, en ce moment, en proie à de véritables intrigues meurtrières dignes des plus grands thrillers bollywoodiens. Face à l’omerta qui règne dans les hautes sphères de l’Etat, des hommes de loi montent au créneau et dénoncent ce qu’ils appellent un système mafieux au plus haut sommet de l’Etat, semant la peur dans la population mauricienne.
Le ministre mauricien du Commerce dans le box des accusés
Même si en cette nouvelle année, le cœur est plus à la fête, ce 7 janvier est attendu. Un ministre du gouvernement, Yogida Sawmynaden, prendra place dans le box des accusés, dans le cadre de la Private Prosecution pour emploi fictif logée par la veuve de Soopramanien Kistnen, Simla Kistnen.
Cette dernière accuse le ministre Sawmynaden d’abus d’autorité, entre autres, notamment dans le cadre du poste de Constituency Clerk qu’elle occuperait officiellement, alors qu’elle n’en savait rien. Elle argue qu’elle a encore moins touché les Rs 15,000 mensuelles payables normalement pour ce poste.
La convocation du ministre mauricien du Commerce, Yogida Sawmynaden, dans le box des accusés suite au ruling de la magistrate Bibi Zeenat Cassamally, est considérée comme une première victoire pour le panel d’avocats.
Ce dernier est composé de Rama Valayden, Roshi Bhadain, Sanjeev Teeluckdharry, Anoup Goodary, Rouben Mooroongapillay, Shahzaad Mungroo, Saoud Peerun et Cliff Grenade, entre autres.
Ils seront aussi en action le 15 janvier prochain lors de la reprise de l’enquête judiciaire sur la mort suspecte de Soopramanien Kistnen où plusieurs témoins sont attendus à la barre.
La magistrate Divya Mungroo-Jugurnath a aussi ordonné la production de tous les documents relatifs aux achats de la State Trading Corporation (STC), une entreprise de l’Etat mauricien pour le commerce et responsable de l’approvisionnement en produits stratégiques essentiels, depuis octobre 2019.
“Nous voulons débarrasser l’île Maurice de la Mafia”, a affirmé Anoup Goodary. L’affaire Kistnen, selon lui, n’est pas un cas de suicide mais de meurtre. “Et, nous devons savoir qui a commis ce meurtre, dans l’intérêt commun du pays”, martèle-t-il.
Cover-up
Pour l’avocat Rouben Mooroongapillay, il est clair que l’on est en présence d’un cas de cover-up. “Nous pesons nos mots quand nous disons que c’est un cover-up. Il est clair que, selon les informations reçues en cour de justice tous les jours, qu’il y a cover-up dans cette affaire”, affirme-t-il.
Selon lui, l’enquête policière sur la mort de Soopramanien Kistnen est allée très vite et a rapidement conclu au suicide malgré le fait que la police avait connaissance de certaines informations. Il n’y a pas eu “d’exclusion test” alors que des informations ne font surface que maintenant alors que l’affaire est entendue en cour de justice.
Rouben Mooroongapillay fait un parallèle avec l’affaire Michaela Harte, 10 ans de cela, où la police avait fait preuve d’amateurisme, selon lui, et dont elle n’a pas tiré les leçons adéquates. “Avec cette affaire, c’est le même schéma qui se répète”, dit-il.
Même son de cloche chez Shahzaad Mungroo faisant lui aussi partie du panel d’avocats dans cette affaire: “C’est un cover-up à tous les niveaux. Il y a des magouilles extraordinaires et nous ne reculerons pas. Nous continuerons notre combat car il y a, derrière nous, une vraie volonté de la population mauricienne pour dire que l’on ne veut plus de cover-up et de mafia”.
Lors du point de presse du 31 décembre, Sanjeev Teeluckdharry avertit la police à ne pas se laisser tenter à faire de cover-up dans un cas d’homicide. Il indique que derrière chaque décès, il faut une enquête appropriée. Toutes les institutions concernées doivent assumer leurs responsabilités. “Ce n’est pas parce qu’une personne haut placée est impliquée qu’il ne faut pas faire le travail. On est tous égaux devant la loi”, précise-t-il. Rama Valayden, véritable initiateur de cette enquête judiciaire, avait déclaré dans la presse locale: “Nous devons vaincre cette frayeur si nous voulons connaître la vérité et empêcher le cover-up”.
Le système mafieux et ses ramifications
Lors d’une récente intervention avec la diaspora mauricienne, l’ancien ministre des Services Financiers et de la Bonne Gouvernance, Roshi Bhadain, explique qu’on a un système politique à Maurice où des personnes qui travaillent pour des partis politiques lors des élections pensent qu’elles sont en droit de s’attendre à une contrepartie pour service rendu sous la forme d’un emploi, d’un contrat publique, ou tout simplement, de l’argent.
Cela a été le cas sous plusieurs gouvernements de l’île Maurice depuis l’indépendance en 1968, argue-t-il. Ce dernier souligne que les personnes qui gravitent autour du noyau dur du pouvoir politique, se trouvant au sommet de l’Etat, remportent des contrats faramineux. Il cite comme exemple les contrats de l’Emergency Procurement pendant la crise du Covid-19, valant plusieurs centaines de millions de roupies.
Le leader du Reform Party, Roshi Bhadain décrit ainsi un système mafieux à quatre niveaux prenant sa source du pouvoir exécutif de l’Etat, avec les ministres du gouvernement mauricien en passant par les hommes d’affaires autour de ces derniers qui bénéficient de gros contrats du gouvernement.
Vient ensuite le petit personnel (agents) ayant travaillé pour ces politiciens lors des élections pour finalement se terminer avec des hommes de main faisant le sale boulot, à savoir, des meurtres. “On a donc un système de passe-droit, de trafic d’influence, de corruption et un système qui bafoue toutes les lois”, dit-il.
Nous avons pu voir en cour de justice, explique pour sa part Sanjeev Teeluckdharry, lors des dépositions sous serments faites par des témoins en ce qu’il s’agit des appels d’offres, la structure mafieuse impliquant les proches du pouvoir qui pourrait être un des mobiles du crime dans l’affaire Soopramanien Kistnen.
Selon Sanjeev Teeluckdharry, on a assisté pendant l’année 2020 à une violation systématique des droits humains à Maurice. Il explique qu’on a porté atteinte aux droits fondamentaux des citoyens mauriciens par le biais de simples règlements court-circuitant le judiciaire.
Une contestation de plusieurs mois qui s’intensifie
L’année 2020 a été rythmée par de nombreuses manifestations et marches pour contester le gouvernement en place. La population est descendue dans la rue le 11 juillet lors d’une marche organisée par Kolektif Konversasyon Solider.
Il y eût, ensuite, la marche historique du 29 août organisée par l’activiste-citoyen Bruneau Laurette où plus de 100.000 Mauriciens ont défilé dans les rues de la capitale, Port-Louis, scandant des slogans invitant le gouvernement de Pravind Jugnauth à démissionner pour sa mauvaise gestion du pays.
D’autres manifestations ont également eu lieu lors d’un rassemblement des Mauriciens à Mahébourg, dans le sud-est du pays, en solidarité aux populations affectées par la marée noire du Wakashio. Il y a eu, par après, une mobilisation importante dans l’ouest du pays en solidarité aux réfugiés de la pauvreté qui s’étaient retrouvés sans domicile après que le gouvernement de Pravind Jugnauth ait fait détruire leurs cases en tôle sises sur les terres appartenant à l’Etat.
Un gouvernement avec une légitimité de 28% de l’électorat
Roshi Bhadain fait ressortir que les manifestations n’ont pas fait démissionner ce gouvernement. Le gouvernement de Pravind Jugnauth évoque sa légitimité de rester car il est élu démocratiquement pour 5 ans. A ce sujet, il convient de rappeler, selon Roshi Bhadain, que, contrairement à ce qu’on pense, c’est seulement 28% de la population mauricienne qui a voté pour ce gouvernement en novembre 2019.
Les 37% en question (269.000 votes), comme il l’explique, sont le pourcentage de votants et non pas pas celui des électeurs qui sont, eux, au nombre de 945.000. On peut dire, selon lui, que 72% des mauriciens n’ont pas voté pour ce gouvernement. “On a donc un problème dès le départ avec un gouvernement qui ne représente que 28% de l’électorat mauricien”, précise-t-il.
Un pourcentage qui serait, aujourd’hui, en-deçà des 28%, selon Roshi Bhadain, après tous les scandales liés au Covid, aux “Emergency Procurements” et les achats y étant liés, l’affaire de St Louis, l’affaire du Wakashio, l’affaire d’Angus Road ainsi que l’affaire actuelle avec la disparition ou les morts suspectes de nombreuses personnes .
“Il se peut que ce soit même en-dessous des 20%. Et la grande majorité de ce qui reste dans ce pourcentage, c’est les ‘rodér bout’”, clame-t-il. Une expression très courante dans la politique à l’île Maurice pour décrire des personnes cherchant à satisfaire leur intérêt personnel en profitant du système.
On est donc, explique Roshi Bhadain, dans une situation où la population ne se retrouve plus dans les personnes qui sont en train de gérer le pays, ou encore, dans les actions gouvernementales qui sont, selon lui, inexistantes car ce gouvernement est juste en train de faire du ‘crisis management’ avec des scandales qui ne s’arrêtent pas.
N’oublions pas, également, la douzaine de pétitions électorales déposée en Cour Suprême, pour contester l’élection de certains membres de la majorité, qui tiendra aussi le pays en haleine.
2021 risque d’être une année compliquée pour le gouvernement actuel, qui devra jongler entre scandales et défis socio-économiques.
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