Racisme! Non, nous les Mauriciens préférons appeler cela communalisme. Cela fait moins mal aux oreilles. Lors d’une discussion live sur Facebook avec la diaspora mauricienne de Belgique et de Grande-Bretagne, trois intervenants, à savoir, Alain Malherbe, Rachna Seenauth et Ingrid Charoux ont parlé à cœur ouvert de ce phénomène racial profondément ancré dans la société mauricienne.
Alain Malherbe, retraité et citoyen récemment engagé dans la politique, indique qu’il est de la responsabilité de chaque citoyen d’apporter sa contribution pour changer le pays qui est, aujourd’hui, arrivé à une extrême; une responsabilité pour préparer une île Maurice meilleure pour les générations futures.
Rachna Seenauth, citoyenne engagée également et rendue célèbre pour son post satirique sur Facebook contre le Premier ministre qui lui a valu d’être arrêtée, explique que trop longtemps les citoyens se sont rendus dépendants des politiciens pour ce qui est des prises de décisions pour le pays.
Et, aujourd’hui, nous en payons le prix, selon elle. La dernière manifestation étudiante remonte dans les années 70’s. “On ne peut aujourd’hui que constater combien nos institutions ne fonctionnent plus. Si nous ne contribuons pas à corriger les erreurs et les dérives, nous n’aurons pas une société démocratique à laisser aux futures générations”, explique-t-elle.
Elle explique que ce qui nourrit ce communalisme à Maurice, selon elle, ce sont les groupes socio-culturels qui poussent comme des champignons et qui sont subventionnés par les deniers publics. Il serait bon de voir, nous dit-elle, combien de groupes socio-culturels continueront à faire des causeries politiques quand ils ne seront plus subventionnés par l’État .
L’État mauricien, a-t-elle dit, est supposé être un État laïc. Mais, comment se fait-il que, pour élire une personne, on doit prendre en considération sa religion? “Pire encore, dans ma propre religion, il y a encore des divisions. Certains sont supérieurs alors que d’autres sont inférieurs. Ce sont les castes. Et, même à l’intérieur des castes, il y en a qui sont supérieurs à d’autres. Mais quand va-t-on en finir avec cela? On n’arrête pas de nous diviser”, s’exclame-t-elle.
Ingrid Charoux, entrepreneure et activiste citoyenne, déplore les attaques communales constantes dont elle est, elle-même, l’objet ainsi que les nombreuses corruptions, injustices et les pratiques de népotisme à Maurice. Elle indique que, mis à part certaines exceptions telles que les jeux des îles, il y a un gros problème d’unité à Maurice où la politique et les religions sont utilisées pour diviser la population.
Racisme: Diviser pour mieux régner
Alain Malherbe explique que la politique de diviser pour mieux régner a toujours existé à Maurice depuis l’esclavage, les propriétés sucrières et autres insitutions avec les colons aux commandes.
Pour ce qui est des propos à relents ‘communaux’ (racistes) actuels de certains groupuscules, il indique que le tort ne peut être attribué qu’aux dites personnes parce que ces dernières ont grandi et évolué, culturellement et politiquement, dans un système pourri fait pour diviser pour mieux régner.
L’hégémonie hindoue et le secteur public
“Cela a toujours été de la sorte. La majorité des politiciens mauriciens appliquent une politique basée sur le racisme pour pouvoir régner”, précise-t-il, avant de commenter sur le secteur portuaire dans lequel il a évolué pendant 43 ans en tant que professionnel: “Si vous n’êtes pas un hindou, vous êtes foutu! Vous n’avez pas de promotion…Pourquoi cela? C’est un système qui a perduré et que personne n’a osé changer et que tous les gouvernements ont utilisé pour protéger les leurs. Que n’a-t-on pas fait pour me détruire? Ils essaient encore aujourd’hui”, s’interroge Alain Malherbe.
“C’est, malheureusement, la même chose un peu partout. Nous devons être francs. Tant que les gouvernements pratiqueront la politique de diviser pour mieux régner, les choses ne changeront pas”, stipule-t-il.
Alain Malherbe a profité de cette discussion avec la diaspora pour dire certaines vérités qui restent encore tabous sur l’éducation qui prévalait dans sa génération. “Nous devions fréquenter seulement les gens qui nous ressemblaient. Ma génération a évolué dans ce système de pensée. Heureusement que nous avons pu changer grâce à notre ouverture d’esprit et à l’interaction avec les autres”, confesse-t-il
“C’est en restant humble, simple et modeste… et en restant Mauricien que nous pourrons regarder notre voisin différemment”, avance Alain Malherbe avant de d’expliquer: “A une époque, j’évitais de cotoyer des hindous, musulmans et chinois car c’était l’éducation que j’avais reçue. Heureusement, j’ai pu détruire ces barrières et, aujourd’hui, c’est un plaisir de rencontrer des personnes de différentes cultures et catégories sociales car je découvre de nouvelles choses”.
“Les barrières entre les religions doivent également tomber. A l’époque du père Souchon dans l’église Immaculée, on fêtait Divali et la Eid. Pourquoi ne voit-on plus cela? Parce qu’il y a, encore, des gens qui veulent nous sectariser, nos cultures, nos religions, par rapport à nos catégories sociales, à notre couleur de peau pour qu’ils puissent en profiter. Ils se permettent de manipuler la population à leur avantage. Et, c’est ce que nous devons pouvoir changer. Nous devons prendre une décision, maintenant en 2021, de dire que nous sommes Mauriciens avant tout!”, souligne-t-il.
Ingrid Charoux soutient également que la religion doit rester dans la sphère personnelle que l’on garde chez soi. “La religion ne peut être assimilée à la politique et, en 2021, l’argent des contribuables ne doit pas être utilisé pour aider des groupes socio-religieux”, clame-t-elle. Ce n’est, selon elle, pas à l’État de leur donner de l’argent.
Perte de confiance dans le politique
Les intervenants ont aussi mis en avant le manque de confiance de la population dans la classe politique. Alain Malherbe pense que les jeunes générations des partis actuels de l’opposition peuvent ainsi donner une nouvelle orientation à la politique du pays comme on le voit dans d’autres domaines à l’instar du monde des affaires jusqu’à ce qu’il y ait de nouvelles élections en 2024.
Mais, comme le fait remarquer Pascaline Corally Lemaire, l’animatrice de ce Facebook Live, le risque est à craindre que les enfants ne reproduisent les mêmes schémas qu’ils ont appris de leurs politiciens de parents qui nous ont mené là où nous sommes après 52 ans d’indépendance.
En ce qu’il s’agit des partis extra-parlementaires dont le Reform Party duquel il s’est rapproché, Alain Malherbe explique que ces partis doivent aussi avoir leur chance et venir en avant pour faire part de leur vision pour une île Maurice meilleure.
Rachna Seenauth, pour sa part, est d’avis que la première des choses à faire est d’éduquer la population tout en revoyant le système politique à Maurice. Il nous faut comprendre que nous pouvons avoir une multitude de choix quand il s’agit d’élire nos dirigeants.
Ingrid Charoux indique, cependant, que malgré l’arrivée de nouveaux partis lors des dernières élections à Maurice, beaucoup d’électeurs font le choix des partis traditionnels. Il faut, selon elle, introduire la possibilité de faire des référendums pour demander l’avis des citoyens sur des sujets importants.
Un Manque de ‘role model’
On fait remarquer sur le live un manque de ‘role model’ qui fait qu’à Maurice les jeunes diplômés ne veulent pas s’investir en politique en raison d’une mauvaise image de la politique donnée par le système actuellement en place à Maurice.
Sur le besoin de changer la Constitution, Alain Malherbe indique que: “En effet la Constitution a été écrite il y a plus d’un demi siècle mais, entre temps, le pays a évolué tout comme la mentalité et la culture. La Constitution doit être changée, adaptée et remise à jour”.
Il souhaite que la nouvelle version de la Constitution qui est en train d’être préparée par un groupe de politiques soit prête rapidement de sorte à ce qu’elle puisse accompagner le changement à l’œuvre à Maurice en ce moment.
“Car le changement arrivera définitivement car jamais le pays n’a été aussi bas. Cela, en raison d’un manque de garde-fou dans les octrois de contrats publics, les abus des politiciens au pouvoir, etc. qui doivent être revus de sorte à ce que nous ayons des politiques de proximité”, souligne Alain Malherbe.
Rachna Seenauth fait ressortir, pour sa part, l’importance de l’indépendance des institutions et le partage des pouvoirs qui peuvent agir comme garde-fou en cas de dérives ainsi que d’une ‘Freedom of Information act’ afin d’assurer une transparence pour que les contribuables puissent s’enquérir sur la gestion de l’État comme, par exemple, l’allocation des contrats publics, ce que l’Inde fait à Agalega, ou encore, comment est géré Safe City.
Ingrid Charoux, pour sa part, déplore une dégradation continue, depuis des décennies, en ce qui concerne les services de l’État, à savoir, les services de sécurité, de santé et l’administration publique, entre autres. Elle fait ressortir le manque de continuité dans l’amélioration des services publics à chaque changement de gouvernement tels que la sécurité routière, la santé, l’éducation, la culture, etc.
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