Nous avons de bonnes raisons de croire dans le mauricianisme. Car, il est bel et bien vivant, à Maurice comme dans la diaspora. Le métissage, biologique et culturel dont nous sommes le résultat en est la preuve vivante. Laissons-nous portés par notre identité, à Maurice et à l’international. Nous pouvons rendre notre pays plus grand qu’il ne l’a jamais été et qu’il ne sera jamais aux mains des dynasties politiques.
Tel est, en substance, le message d’Ivor Tan Yan, juriste de formation, sur la plateforme citoyenne issue de la diaspora mauricienne installée en Belgique, le Groupe de Solidarité Maurice & Belgique, lors d’un Facebook Live ce lundi 25 janvier.
Ce dernier est, rappelons-le, secrétaire général de la formation politique 100% Citoyens, parti politique qui a remporté une moyenne de 2% des suffrages aux dernières élections générales. Ivor Tan Yan est aussi négociateur syndical en indépendant chez Zilwa Eklere, une entité qui propose des formations diverses en matière de droit.
“Il est l’heure que nous refusions que l’on nous catégorise en groupes ethniques…”
La reconnaissance institutionnelle du mauricianisme
Même si le fait d’être Mauricien ne figure nulle part dans la Constitution, nous nous auto-proclamons Mauriciens et nous pouvons en être fiers, comme le dit Imfar Sairally, juriste, autre intervenant sur ce Facebook Live. Mais, explique ce dernier, c’est un fait que nous ne pouvons pas, dans les documents officiels, utiliser le terme Mauricien, mais plutôt, le terme citoyen de Maurice (citizen of Mauritius) comme il est mis sur notre passeport.
“Comment donc allons-nous dire à nos politiciens qu’il est temps que l’on revoit et qu’on change notre Constitution? Il est l’heure que nous refusions que l’on nous catégorise en groupes ethniques mais tout simplement en tant que Mauriciens”, affirme Imfar Sairally.
La Grande-Bretagne qualifie ses citoyens comme des britanniques. De même que la France considère ses citoyens comme Français. Pourquoi donc à Maurice ce n’est point le cas? On peut s’amuser à chercher le terme Mauricien dans la Constitution mais il n’est juste utilisé que pour nous diviser, à l’exemple du terme sino-Mauricien, nous explique Imfar Sairally.
Ivor Tan Yan, pour sa part, indique qu’il est important de faire ressortir ce point et de le clamer haut et fort. “Nous avons un problème institutionnel”, précise-t-il.
Imfar Sairally indique que nous vivons dans une île Maurice où nous sommes censés dire que nous sommes un peuple bien éduqué car nous avons un bon niveau d’éducation. Mais, il souligne que c’est un fait, qu’au fur à mesure que nous atteignons un niveau d’éducation élevé, on se retrouve, en fin de compte, bien bas avec un racisme à outrance.
“Nous avons bien eu des dynasties en 52 ans d’indépendance…”
Le ‘mensonge’ sur le quadricolore mauricien
“Est-ce qu’on se fait mener en bateau depuis 52 ans?”, s’interroge un membre de la diaspora. Car, la diffusion de la vidéo de Yousuf Mohamed sur la plateforme de 100% Citoyens lors du débat organisé sur le thème du communalisme scientifique n’est pas passé inaperçu chez les Mauriciens de la diaspora.
Il semblerait que même notre drapeau, le quadricolore mauricien, ne représenterait, en fin de compte, que les couleurs des forces politiques à l’œuvre lors des négociations pour l’indépendance de Maurice, à savoir, le Parti Travailliste (PTR), le Parti Mauricien Social Démocrate (PMSD), l’Independent Forward Bloc (IFB) et le Comité d’Action Musulman (CAM).
Il y a le rouge du parti Travailliste porté par Seewoosagur Ramgoolam qui, comme l’explique Ivor Tan Yan, se faisait le porte-parole du culte de la défense des hindous et portant le discours selon lequel le pouvoir politique à Maurice reviendrait ainsi nécessairement aux hindous car ils sont majoritaires.
Il y a le bleu du Parti Mauricien Social Democrate (PMSD) mené par le ‘King Créole’, Gaëtan Duval qui représentait la force politique qui s’opposait à l’indépendance.
Nous avons ensuite le jaune de l’Independent Forward Bloc (IFB) avec les frères Bissoondoyal, dont le célèbre Sookdeo Bissoondoyal, qui, selon les explications d’Ivor Tan Yan, militait pour la reconnaissance logique de la culture hindoue dans une île Maurice plurielle.
Cela, au contraire du discours de Seewoosagur Ramgoolam qui, souligne-t-il, est le réel diviseur. Il y a, enfin, le vert du Comité d’Action Musulman (CAM) portant la voix des personnes de confession musulmane, comme son nom l’indique, en la personne d’Abdool Razack Mohamed.
Ivor Tan Yan est d’avis que l’Etat nous a laissé dans l’ignorance. “Ils nous ont tous menti”, dit-il. Ce sont des mensonges par omission si l’on veut ou un refus d’admettre la réalité. Mais, mensonge quand même.
Il rappelle que c’est entre 1959 et 1968 que les bagarres raciales, comme on a voulu les appeler, commencent. La raison, selon Ivor Tan Yan, réside dans la volonté des partis politiques d’alors de diviser la population en communautés regroupées dans différentes circonscriptions. La configuration actuelle de certaines régions du pays comme la Plaine Verte et Triolet, entre autres, est en lien direct avec cette période, nous dit-il.
L’indépendance était inéluctable pour Maurice car elle intervient dans le contexte, plus général, de la décolonisation des empires coloniaux européens. On aurait pu avoir l’indépendance beaucoup plus tôt. La raison de ce délai, comme le suggère Ivor Tan Yan, est à rechercher du côté des partis politiques qui prenaient du temps à chercher comment installer et garder un pouvoir dynastique entre leurs mains.
“Car, qu’avons nous eu au parlement à Maurice? Nous avons bien eu des dynasties en 52 ans d’indépendance, à savoir, Gaëtan Duval, son fils et son petit-fils, Seewoosagur Ramgoolam et son fils, Anerood Jugnauth et son fils, Paul Bérenger et sa fille ainsi que Burty David et son fils. Et, il y en a encore qui arrivent”, précise-t-il.
Ivor Tan Yan précise que le système des Best Losers n’a pas été implémenté à l’initiative des britanniques. “Comment a-t-on hérité d’un système pareil? Ce ne sont pas les Britanniques qui ont décidé de cela. Ce sont bien les partis politiques, qui se sont assis pour discuter de notre Constitution, qui l’ont fait. Et nous attendons que ce soit les mêmes qui viennent changer cette Constitution. C’est une grosse illusion que de croire cela”, conclut-il.
“On ne pourra pas empêcher la vague du mauricianisme de se lever”.
Le mauricianisme porté au pouvoir
Dans le cœur des Mauriciens, le mauricianisme existe déjà. Il n’est point question d’en douter selon Ivor Tan Yan. Il convient de dire que pour beaucoup de Mauriciens, il n’y a aucun doute que le mauricianisme existe car ils le vivent déjà.
“Mais, c’est le devoir de la génération d’aujourd’hui de se battre pour ce mauricianisme. C’est à nous, Mauriciens de 25 à 50 ans, qui représentons la majorité en termes de démographie à Maurice, de nous battre pour ce que nous sommes et pour ce en quoi nous croyons”, précise-t-il.
Au scepticisme de certains membres de la diaspora sur l’existence réelle du mauricianisme à Maurice, Ivor Tan Yan explique que la culture mauricienne est reconnue internationalement à travers nos artistes dont Kaya et le groupe Racinetatane.
Comme il l’explique, ces artistes sont connus comme étant des artistes mauriciens tout simplement. La culture mauricienne est portée et exportée par nos artistes comme Eric Triton, Zulu et Damien Elisa avec fierté et engouement. C’est qu’il existe bel et bien.
Dans ce même ordre d’idées, il indique que nous avons des auteurs mauriciens, tels que Carl de Souza ou Jean-Marie Le Clézio, qui racontent la vie des Mauriciens. Nous avons aussi des sportifs mauriciens comme Stéphan Buckland ou Bruno Julie. “On ne pourra pas empêcher la vague du mauricianisme de se lever”, souligne-t-il.
Ivor Tan Yan explique, cependant, qu’il souhaiterait que ce réveil du mauricianisme, que nous observons actuellement, se fasse sans violence afin que se produise ce changement tant attendu à Maurice. “Je pense que nous pouvons le faire car à Maurice nous avons l’esprit assez posé pour cela. Nous en avons d’ailleurs la preuve avec les événements récents à Maurice”, précise-t-il.
Il fait, à ce titre, ressortir qu’au lendemain de l’émission de 100% Citoyens sur le communalisme scientifique la semaine dernière, il y a eu beaucoup de sollicitations de certains groupes de presse mauriciens invitant Bruneau Laurette à aller débattre avec des… bouncers sur leurs plateaux respectifs du communalisme alors que jamais auparavant ces mêmes organes de presse n’avaient pensé à faire des émissions sur le communalisme.
“Aujourd’hui, il n’y a que 3 quotidiens et tous 3 sont achetés. Et nous savons à qui ils appartiennent”.
La désinformation faite par les médias
“Nous devons absolument éviter la violence. Pour cela, nous avons besoin du soutien des médias”, insiste-t-il. Il déplore, néanmoins, une situation qu’il qualifie d’extrêmement grave à Maurice, à savoir, un groupe de presse qui émet énormément d’informations contradictoires.
“Le rôle des médias aujourd’hui à Maurice est hyper important. J’estime que tous les médias qui soutiennent le régime actuel de Pravind Jugnauth à Maurice auront des comptes à rendre à la population en ce qui concerne l’exercice de leur métier de journalisme”, clame-t-il.
Ivor Tan Yan explique, qu’avant l’indépendance, l’île Maurice comptait plus de 10 journaux quotidiens. “Aujourd’hui, il n’y a que 3 quotidiens et tous 3 sont achetés. Et nous savons à qui ils appartiennent”, martèle-t-il. Il y a de quoi s’interroger, selon lui, sur la qualité des informations que nous recevons de ces médias.
Mais, il ne convient pas, non plus, de faire confiance aux réseaux sociaux car ils sont, selon lui, un ‘vomissoire’ où les gens viennent vomir le trop plein qu’ils ont en eux et puis s’en vont. “Nous ne pouvons plus continuer de la sorte”, dit-il.
“Il nous faut, en tout premier lieu, un organe de presse libre”.
Un média libre financé par la diaspora elle-même
“Il faut un média libre et indépendant et qui soit du côté des Mauriciens et du mauricianisme”, affirme Ivor Tan Yan. Ce dernier ajoute qu’il est surprenant de voir que les médias, qui soutiennent le système, n’ont rien d’autre à dire que les manifestants ont utilisé un langage vulgaire lorsque les citoyens mauriciens sont descendus dans la rue, le 29 août dernier. “Les médias ont même trouvé le moyen d’en faire un sujet à débat”, s’insurge-t-il.
“C’est pour cela que nous avons du soutien des Mauriciens à l’étranger. Ils peuvent aider à financer un organe de presse libre et gratuit à Maurice où on aura de réelles informations. Aujourd’hui, dans les journaux à Maurice, il n’y a que des faits divers. Dans 80% des articles à Maurice, on a cette logique. Que des faits divers! Nous avons besoin d’un journal qui fasse des analyses”, argue-t-il.
“On ne peut pas avoir, à Maurice, après 52 ans d’indépendance des journalistes faisant des éditos et qui ont été des anciens conseillers de communication de ministres ou de certains leaders politiques. Il nous faut, en tout premier lieu, un organe de presse libre”, explique Ivor Tan Yan.
Il faudrait aussi, selon Ivor Tan Yan, des formations qui peuvent être faites via les réseaux sociaux pour s’atteler à l’éducation de la population sur des sujets divers tels que les droits des citoyens à travers des vidéos informatives de bonne qualité et bien scénarisées afin de les rendre attractives aux audiences ciblées. Tout cela, comme il l’indique, a un coût et il faut des financements pour faire les choses comme il se doit, c’est-à-dire, de manière professionnelle.
“Cela veut dire payer un journaliste. Vous employez un journaliste. Vous lui donnez la protection dont il a besoin, à savoir, la sécurité de l’emploi et il fera son boulot avec une ligne éditoriale clairement orientée vers le mauricianisme avec, par exemple, des rubriques sur l’histoire, pour expliquer les décisions du cabinet ministériel, ou encore, les lois qui sont adoptées à Maurice”, soutient Ivor Tan Yan.
Avec un organe de presse pour diffuser des informations réelles et un pôle d’éducation de la population sur les droits des citoyens, on peut ensuite s’attaquer à la Constitution. On a, là, les 3 éléments essentiels si on veut amener le changement dont nous parlons tous. Il faut, selon Ivor Tan Yan, un ancrage suffisant sur le territoire mauricien en matière politique pour initier un changement de la Constitution.
Il propose également ce qu’il appelle une charte des droits des Mauriciens où les partis politiques s’accordent sur le développement dont le pays a besoin. “Cela donne ainsi une base idéologique aux partis politiques qui n’ont pas nécessairement besoin d’aller ensemble aux élections”, précise-t-il.
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