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A la rencontre de Kan, «l’Artiviste»

Kan, non ce n’est pas le nom d’un personnage de manga, mais celui d’un artiste, désolé un « l’Artiviste » mauricien, qui offre une deuxième vie à des matériaux de récupération. Il les transforme en instruments de musique. Aufait.media est allé à sa rencontre dans son atelier à Beau-Bassin.

Aufait.media a rencontré Kan, à son atelier à Beau-Bassin. Lui, il préfère le mot « artiviste » pour résumer ce qu’il fait. Car Kan a plusieurs cordes à son arc. « Je suis venu avec le mot « Artiviste », je ne sais si le mot existe, mais pour moi, il a beaucoup de sens. C’est pas juste l’art mais aussi, les messages. J’essaie de provoquer une prise de conscience sur les déchets à travers la fabrication d’instruments venant de matériaux de récupération, entre autres. Il y a aussi le partage, car pour moi, la musique est universelle. La musique rassemble ! Je peux la partager, où elle peut nous faire vivre des émotions, et ce, même avec un complet inconnu,» nous dit-il d’emblée.

Le parcours de « l’artiviste » dans l’univers de la musique démarre avec la sonorité électronique. « J’étais DJ, producteur et aussi organisateur de soirées », dit-il. Mais ce fut qu’une transition! « Je ne me sentais plus en phase avec moi-même », explique-t-il. 

Il met une pause, profite de la nature, part camper avec des amis. Un retour aux sources! « C’est à ce moment, que je me suis intéressé aux instruments acoustiques. Le premier fut le didgeridoo, un instrument joué par des aborigènes australiens », relate-t-il.

Dans l’incapacité de mettre la main sur un didgeridoo à Maurice, Kan décide d’en fabriquer un. « Je me suis dit qu’en bref, le didgeridoo, c’est une colonne d’air, il est vide à l’intérieur, un peu comme un tuyau de PVC ou un bambou. J’ai donc commencé à fabriquer un didgeridoo en bambou, par la suite, j’ai commencé à expérimenter le PVC. Fondamentalement, le son est similaire, mais la texture, elle, elle est différente », souligne-t-il. 

L’idée d’utiliser des matériaux de récupération remonte à 2017, en constatant la situation alarmante de la pollution à Maurice. « Il était devenu normal de voir des déchets au bord de la rue, à la plage, près des rivières… On a décidé, avec des amis, d’essayer d’améliorer cette situation. On a commencé avec des opérations de nettoyage. Nous avons organisé des activités gratuites pour les enfants, des sorties à la mer, des expositions. J’ai aussi réalisé un documentaire intitulé « En Plastique » sur la pollution à Maurice. Je me suis dit qu’étant donné que je fabrique des instruments pourquoi ne pas essayer avec des matériaux de récupération. J’ai donc essayé de fabriquer quelques instruments et j’ai eu un bon retour. Cela m’a motivé à continuer, à m’améliorer. J’essaie toujours de trouver de nouvelles méthodes de fabrication », nous dit l’artiviste.

Kan dit vouloir toucher tout le monde avec sa musique et ses instruments. Donc, il partage au maximum son savoir. « Il y a beaucoup de parents que j’ai rencontrés, qui se plaignent de l’oisiveté des jeunes. Donc, j’essaie de leur montrer comment fabriquer des instruments. En faisant cela, on se sert beaucoup de ses mains et on peut faire beaucoup de choses avec nos deux mains. C’est une activité saine, mais qui est aussi un geste envers l’environnement », explique-t-il.Kan publie aussi une série de tutoriels vidéo sur le net, « Trash to Music » où il montre les différents processus de fabrication de ses instruments.

Covid-19

La créativité de Kan a été mise à rude épreuve durant le confinement de sept semaines à Maurice (Mars à Mai 2020), pour lutter contre le virus de la Covid-19.« On ne pouvait sortir pour récupérer des matériaux. Je me suis demandé quoi utiliser? J’ai réalisé que l’un des matériaux qu’on a partout, c’est le plastique. Donc, j’ai essayé de faire le maximum d’instruments en utilisant du plastique. Il y en a un en particulier, qui a plu à beaucoup de personnes, le « ti ravanne carre » fabriquée principalement de bois et d’une bouteille en plastique. Et récemment, je suis venu avec un autre variant de la « ti ravanne » où je me suis servi d’une boîte en conserve, au lieu de bois qui n’est pas disponible tout le temps», nous raconte l’artiste.

Vivre de son art à Maurice n’est pourtant pas chose facile, avoue Kan. Outre la musique, Kan était aussi un entrepreneur. Il avait sa propre marque de vêtements « Endjoy ». En 2020, il a décidé de se séparer du business et de se consacrer uniquement à l’art. « Cela avait plus de sens pour moi. Je me suis lancé dedans, juste après le confinement et c’est un peu fou, parce que beaucoup de mes amis souffrent de la situation laissée par la pandémie. Ils jouaient dans les hôtels. C’est triste. De mon côté, j’essaie de me débrouiller. Le message que je voudrais transmettre aux artistes qui veulent envisager l’art comme une source de revenu, c’est de trouver ce qui vous rend spécial ».

Jamming

Kan collabore aussi avec des groupes, comme Langaz Ravann, Konecter, et Patyatann. « Avec Langaz Ravann, je joue du séga et de la fusion. Avec Konecter, c’est plutôt de la musique africaine, orientale / indienne. On essaie de faire des fusions avec les couleurs locales. Et le groupe Patyatann, ce sont plusieurs cultures, instruments du monde, qu’on mélange. Cela permet de jouer avec des gens de toutes les couleurs. Et on voit que la musique, l’art et la positivité peuvent réunir ». Et, il ajoute:  « beaucoup me demandent quel est mon style de musique? Je suis un mélange de tout. Je n’aime pas trop classifier mon style de musique, car cela peut discréditer les autres influences de musique que j’ai en moi. J’essaie de faire une musique universelle qui peut toucher la plupart des gens, ou ceux qui veulent être touchés par la musique ».

« Pour moi faire de la musique, c’est de pouvoir mélanger la tradition et la modernité pour justement créer quelque chose qui n’existe pas »

KAN

Kan est en train de préparer un album, où il est question de tradition et de modernité. « La technologie nous offre beaucoup de possibilités. Au début, je ne voulais plus toucher à la musique électronique. Cependant, elle offre des possibilités. C’est aussi la modernité et l’évolution. On ne peut pas faire que de la musique traditionnelle / ancestrale, car elle appartient à un autre temps. D’un autre côté, on ne peut pas que faire de la musique électronique, car il y a aussi un contexte musical et culturel, et ce, peu importe la société. Pour moi faire de la musique, c’est de pouvoir mélanger la tradition et la modernité pour justement créer quelque chose qui n’existe pas ».

Ses inspirations

Kan avoue qu’il y a beaucoup de personnes qui l’ont inspiré. « Ce que je fais, a été beaucoup inspiré par ces personnes et ils vivent un peu dans mon art, et mon expression. La première personne qui me vient en tête, c’est Marclaine Antoine, quelqu’un qui a partagé la culture de Maurice, du monde et de l’Afrique. Je me sens vraiment privilégié d’avoir pu le rencontrer, voir ses instruments et écouter ses histoires. Il y a Menwar, avec ses instruments, ses rythmes et ses sonorités africaines, ses compositions. Pour moi, c’est quelqu’un qui a révolutionné la musique à Maurice. Sa façon de jouer, vient d’ailleurs, d’une autre ère, comparé aux ségas modernes. Il faut remercier Mewar pour cela. Puis, il y a les autres fabricants d’instruments de récup comme le Français Nicolas Bray, ou le Mauricien Salem Emilien. J’ai mentionné quelques-uns mais il y a eu beaucoup de personnes qui m’ont guidées dans ce chemin »

Kan ambitionne de voir la mise sur pied d’un espace permanent, un lieu dédié à la créativité artistique, « où des personnes pourront venir partager leurs différentes formes d’art, ou encore les enseigner, un endroit où on peut puiser fertile à la créativité ».