L’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) a publié son «consultation paper» pour s’adresser aux problèmes d’abus sur les réseaux sociaux, provoquant un véritable tollé à Maurice. Le régulateur maintient qu’il agit en suivant les recommandations du fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, qui demande aux gouvernements de mettre en place leurs propres réglementations. Néanmoins, ces propositions sont loin d’être au goût de tout le monde. Loin de là! Une pétition intitulée “Reject the Proposal Amendments to the ICT Act dated 14/04/2021” a déjà récolté plus de 19,000 signatures…
L’ICTA fait face à un tollé depuis la publication des consultations publiques dans le but de réglementer l’utilisation des réseaux sociaux à Maurice.
Le document propose des d’amendements à la loi sur les TIC à Maurice. Si cette loi est amendée, les données pourront être décryptées, inspectées, archivées et finalement censurées.
Publié le 14 avril, le public a deux semaines pour donner son opinion.
Cette affaire fait le buzz sur le net, et beaucoup se demandent si cela ne va pas à l’encontre de la démocratie, ou un nouveau pas vers un régime autocratique.
Deena Bhoyroo, avocate, explique que le document admet que le cadre statutaire proposé va sans aucun doute interférer avec les droits et libertés fondamentales du peuple mauricien, en particulier ses droits à la vie privée et à la confidentialité et à la liberté d’expression. “Une loi peut être promulguée au parlement qui interfère avec la liberté d’expression, du moment que cette loi est prévue dans l’intérêt de la défense, de la sécurité publique, de l’ordre public, de la moralité publique ou de la santé publique,” dit-elle.
Alexandre Laridon, juriste et observateur politique, explique que donner plus de pouvoir à l’ICTA à travers ces nouveaux amendements serait “comme remettre un rasoir entre les mains d’un singe.”

“Nos lois actuelles sont déjà bien ficelées avec des paramètres et des limites à ne pas franchir. Pourquoi donc donner plus de pouvoir à une institution qui en a déjà l’autorité requise et nécessaire?” dit-il
“Un système de hacking par l’État”
Shakeel Mohamed, avocat et député du Parti travailliste, réagissant sur sa page Facebook et prenant l’exemple de l’Angleterre, explique que le pays était également confronté aux mêmes problèmes. Mais que les consultations avaient duré au moins 2 ans. “A Maurice, c’est pendant le confinement que cela va être décidé sans que la majorité réalise qu’il y a un “serious attempt” à notre liberté d’expression, à notre capacité de parler et de discuter.” dit-il.

Paul Bérenger, leader du MMM, a qualifié les propositions de l’ICTA comme “révoltantes”, et “inacceptables”. “C’est une atteinte mortelle à la liberté d’expression, et à la démocratie. Ce qu’il propose de faire est très grave”, a-t-il dit lors d’une conférence de presse aux côtés de Xavier Luc Duval, Roshi Bhadain et Nando Bodha. “Nous prévenons le gouvernement que cela provoquera une révolte dans le pays et de ne pas aller de l’avant avec ce projet de loi,” a-t-il dit.

Nando Bodha, ex ministre des Affaires étrangères, se demande si le gouvernement est si désespéré que cela en agissant d’une manière “machiavélique” pour museler la liberté d’expression. “Ce qu’ils veulent faire n’a jamais été fait dans d’autres pays, cela causera une révolte nationale ou nous devrons nous mobiliser,” a-t-il dit. Ce dernier ajoute que dans les autres pays, c’est la plateforme elle-même qui prend la responsabilité et non pas l’État.

Roshi Bhadain, avocat et leader du Reform Party, lui considère les propositions de l’ICTA comme une légalisation d’un “système de hacking par l’État.” “C’est extrêmement grave, une atteinte à l’intégrité de la démocratie.” dit-il. Roshi Bhadain a aussi affirmé que “tous les Mauriciens se doivent de se sentir concernés et ils doivent réfléchir pourquoi le gouvernement veut amender ces lois.”

La volonté du peuple à la base de l’autorité du gouvernement
L’avocate Deena Bhoyroo va plus loin pour expliquer que selon les Nations Unies (dont fait partie la République de Maurice), le principe fondamental de la démocratie est que la volonté du peuple sera la base de l’autorité du gouvernement. “La démocratie offre un environnement qui respecte les droits de l’homme et les libertés fondamentales, et dans lequel s’exerce la volonté du peuple. Le peuple a son mot à dire dans les décisions et peuvent demander des comptes aux décideurs et les tenir responsables. Ces valeurs sont inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le International Covenant on Civil and Political Rights (ICCPR) dit que l’une des bases de la démocratie est la liberté d’expression, que la Commission des droits de l’homme des Nations Unies a aussi déclaré comme élément essentiel de la démocratie”, dit-elle.

Notre interlocutrice évoque aussi l’article 12 et 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui stipule: “Nul ne peut être soumis à une ingérence arbitraire dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni à des atteintes à son honneur et à sa réputation. Chacun a droit à la protection de la loi contre de telles ingérences ou attaques.” et que “Chacun a droit à la liberté d’opinion et d’expression; ce droit inclut la liberté d’avoir des opinions sans ingérence et de rechercher, recevoir et répandre des informations et des idées par le biais de tous les médias et indépendamment des frontières.”
Toutefois, elle explique que le Parlement mauricien est dûment habilité par l’article 45 de la Constitution, a adopté les lois qu’il souhaite. “Sous réserve de la présente Constitution, le Parlement peut adopter des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement de Maurice”, explique-t-elle.
L’avocate met l’accent sur le fait que toute loi incompatible avec les dispositions de la Constitution sera considérée comme nulle dans la mesure de son incompatibilité.
“Cependant, la Constitution de Maurice ne prévoit pas expressément un droit au respect de la vie privée. L’article 9 de la Constitution ne protège que le droit au respect du domicile et d’autres biens, et non de la personne. Le droit au respect de la vie privée ne bénéficie donc pas d’une protection constitutionnelle, qui est la loi suprême de notre pays,” dit-elle
Les cyber dangers
Selon un expert en cybersécurité, qui a voulu garder l’anonymat, la méthode proposée par l’ICTA est immorale et car il pourra intercepter tout le trafic de Maurice et non pas que des données spécifiques aux réseaux sociaux. “Mettre un proxy ici a Maurice veut dire que tout le trafic pourra être intercepté, pas que pour les réseaux sociaux mais aussi celui des entreprises”, précise-t-il.
Notre expert souligne que les amendements proposés donnent au gouvernement la possibilité de décrypter des messages et d’autres informations qui contiennent parfois des mots de passe, ou des données des comptes bancaires. “Et si quelqu’un arrive à compromettre le système ou avoir accès à ces certificats, les informations pourraient être divulguées”, ajoute-t-il.
Il explique que des réseaux sociaux comme Facebook offrent aux autorités des outils pour pouvoir enquêter ou accéder à des données s’il y a des soupçons d’activités cybercriminelles. “Pourquoi l’ICTA ou le gouvernement ne travaillent-t-ils pas avec ces compagnies pour mieux gérer la situation, au lieu d’analyser toutes les informations ici?”, s’interroge-t-il.
Dans un communiqué émis le 19 avril dernier, l’ICTA souligne que: “conformément aux recommandations formulées par le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg devant le Sénat des États-Unis en avril 2018, par lequel il a conseillé aux gouvernements de mettre en place leurs propres organismes de reglementation respectifs pour surveiller les fausses nouvelles et les contenus illégaux, l’ICTA selon les sections 18 (d) et (m) de la loi sur les TIC, conformément à ses obligations et obligations légales, soumettra des recommandations au gouvernement, seulement après que cet exercice de consultation publique sera terminé”.
Dans le monde
Deena Bhoyroo souligne que plusieurs juridictions à travers le monde proposent des cadres législatifs pour rendre les entreprises de réseaux sociaux responsables de leur contenu en ligne, en leur imposant un devoir de diligence, de supprimer les contenus illégaux et leur imposer des sanctions en cas de non-respect des législations nationales. “Par exemple, L’Inde oblige les plateformes de réseaux sociaux à nommer des “compliance and grievance officers” pour traiter les plaintes des forces de l’ordre. Ces agents doivent être des citoyens indiens et doivent envoyer des rapports mensuels de conformité au gouvernement”, explique-t-elle.
Ces réglementations obligeraient également les sociétés de réseaux sociaux à participer aux enquêtes menées par les forces de l’ordre indiennes. Ils exigent aussi des entreprises de réseaux sociaux qu’elles suppriment le contenu illégal le plus rapidement possible, mais pas plus de 36 heures après avoir reçu un ordre gouvernemental ou légal. Les sites doivent également divulguer au gouvernement la source originale de tout contenu en ligne faisant l’objet d’une enquête. “Alors pourquoi l’île Maurice ne peut-elle pas légiférer dans ce sens? Si la réponse est parce que les plateformes des réseaux sociaux ont une présence physique par le biais de leurs bureaux régionaux dans ces pays, alors peut-être que le gouvernement mauricien devrait s’efforcer d’avoir des représentants ou des bureaux régionaux des réseaux sociaux à Maurice d’autant que le pays se dit être un “ICT Hub”.” dit-elle
Elle rappelle que pour que les propositions deviennent des lois, elles doivent d’abord passer par le Parlement. “Le parlement peut arrêter ou apporter les changements nécessaires à ces propositions d’amendements à la loi en écoutant l’opinion du peuple conformément aux principes de la démocratie et les Mauriciens doivent impérativement envoyer leurs points de vue à l’ICTA par email sur socialmediaconsultation@icta.mu avant le 5 mai 2021 à 16.00hrs.” dit-elle
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