L’ancien Premier ministre et Président de la République de Maurice, Sir Anerood Jugnauth est décédé, le jeudi 3 mai, à l’âge de 91 ans. Retour sur le parcours de ce natif de Palma qui a aidé à écrire la success story de Maurice.
Anerood Jugnauth est né à Palma. Son grand-père avait émigré à Maurice depuis l’État indien du Bihar dans les années 1850. Il a fait ses études primaires à l’école primaire de Palma et ses études secondaires au Regent College. Il a enseigné pendant un certain temps au New Eton College et a ensuite travaillé comme greffier au département du ‘Poor Law Department’ avant d’être transféré au département judiciaire.

1950 à 1970 : SAJ est élu député
En 1951, il quitte Maurice pour le Royaume-Uni afin d’étudier le droit. Il a été admis au barreau de Londres (Lincoln’s Inn) en 1954.
En 1957, de retour à Maurice, Jugnauth est élu président du conseil du village de Palma. Alors qu’il était membre de l’IFB, il a également été élu membre du Conseil municipal de Vacoas-Phoenix.
En octobre 1963, il est élu pour la première fois sous la bannière de l’IFB, au Conseil législatif dans la circonscription n°14 de Rivière-du-Rempart à l’époque (à une époque où il y avait 40 circonscriptions dans l’île).
En 1964, il est l’un des fondateurs du All Mauritius Hindu Congress, mais il continue à servir dans le gouvernement de Seewoosagur Ramgoolam en tant que ministre d’État au Développement de 1965 à 1966.
En 1965, Il participe à la Conférence constitutionnelle de Londres sur Maurice, également connue sous le nom de Conférence de Lancaster et en novembre 1966 il est promu ministre du Travail.
Par la suite, Il démissionne de ses fonctions en avril 1967, et rejoint la fonction publique en tant que magistrat. En 1970, il rejoint le MMM et devient président du parti.
1976 à 1983 : SAJ accède au poste de PM

Bien qu’ayant reçu la plupart des voix (38,64 %), le MMM perd les élections de 1976 au profit du Parti de l’indépendance, qui obtient 37,90 % des voix. SAJ occupera le poste de leader de l’Opposition jusqu’en 1982.
En 1981, le MMM forme une alliance avec le Parti socialiste mauricien, connu sous le nom de PSM. Lors des élections générales de 1982, l’alliance MMM-PSM remporte un victoire écrasante avec 64,16 % des voix et l’ensemble des 60 sièges élus.
Anerood est ainsi nommé premier ministre de l’île Maurice, Harish Boodhoo, leader du PSM, vice-Premier ministre et Paul Bérenger, ministre des Finances.
En mars 1983, le gouvernement s’effondre lorsque la faction dominante au sein du MMM dirigée par Bérenger, entre en conflit avec le clan Jugnauth. SAJ propose alors à Harish Boodhoo de dissoudre le PSM pour créer un nouveau Parti, le MSM (Mouvement Socialiste Militant). Cependant, le nouveau gouvernement manquant de majorité à l’Assemblée législative, Anerood Jugnauth dissout l’Assemblée en juin.
Des élections générales sont réorganisées la même année et le MSM en alliance avec le Parti travailliste remportent les élections de 1983.

1984 à 1990 : Le 1er miracle économique
En février 1984, le Mauritius Labour Party (MLP) quitte le gouvernement, 11 de ses députés continuent de soutenir le gouvernement et forment une faction au sein du MLP, appelée Rassemblement des Travaillistes Mauriciens (RTM). Lors de la prorogation du Parlement en novembre 1986, Jugnauth convient qu’une élection était nécessaire.
De nouvelles élections générales ont lieu le 30 août 1987, soit un an avant la fin du mandat du parti au pouvoir. Le MSM s’allie au PMSD de Gaëtan Duval et les deux principales factions du MLP, celle dirigée par Satcam Boolell et le RTM.
Le MSM et ses alliés remportent un total de 49,86% et 39 sièges. Après l’attribution des sièges des perdants, l’Alliance détenait 46 sièges contre 24 pour le MMM. Les deux sièges de l’Organisation du Peuple Rodriguais ont permis de porter ceux de l’Alliance à 46.
C’est sous le règne de SAJ que l’île Maurice connaîtra sa modernisation économique. Le pays récoltera notamment les fruits des mesures prises en 1982, avec la baisse des dépenses gouvernementales, l’introduction d’une Sales Tax, et les mesures incitatives pour le développement du secteur d’exportation et du tourisme. Alors que tous les experts prédisaient le pire pour Maurice, le pays déjouera les pronostics pour devenir plus tard une success story. SAJ serait ainsi qualifié par beaucoup comme étant le père du premier miracle économique.

1991 à 1995: La chute
Le 6 août 1991, Jugnauth dissout l’Assemblée nationale et annonce la tenue d’élections générales le 15 septembre, près d’un an avant la fin de son mandat. Le MSM en alliance avec le MMM et le RTD (Rassemblement des Travaillistes Mauriciens) remportent les élections, Jugnauth régne une fois de plus au Parlement pour un quatrième mandat et une fois de plus est élu Premier ministre.
Néanmoins, ce mandat sera beaucoup plus compliqué, il aura moins de succès que dans le passé. La roue tourne pour SAJ. Lors des élections de 1995, L’alliance Parti Travailliste-MMM met fin à son règne. Cette dernière remporte une victoire sans appel, avec l’obtention de 60 sièges en jeu, SAJ n’étant même pas élu. Navin Ramgoolam, leader du Parti travailliste, le remplace comme Premier ministre.
2000 à 2003 : Le comeback

Le MSM de SAJ conclut une nouvelle alliance avec le MMM de Bérenger pour participer aux élections de 2000. L’accord est basé sur un partage des pouvoirs entre les deux leaders politiques. Selon cet arrangement, Jugnauth occuperait le poste de Premier ministre pendant les trois premières années et Bérenger pendant les deux années restantes. L’alliance remporte la victoire, en raflant 54 des 60 sièges.
Effectivement, Jugnauth démissionne de ses fonctions de Premier ministre et de député le 30 septembre 2003. Il annonce son départ dans un discours de 20 minutes prononcé au Parlement. “Everything said and done about me, I am proud to go down in history as a no-nonsense, honest and dedicated prime minister having done my duty in good faith and without fear or favour. I have understood our political adversaries and, taken at its most, all divergent views and attitudes have been mere manifestations to our democracy at its best”, a-t-il dit.
Il prend possession des clés du Château de Réduit et devient Président de la République, le 7 octobre 2003.
2004 : Un nouveau mandat de Président
Il reste Président jusqu’à la fin de son mandat de 5 ans, s’achevant en 2008 et est réélu par l’Assemblée nationale à l’unanimité le 19 septembre 2008, soutenu à la fois par le gouvernement et l’opposition.

Peu de temps après, lors de l’élection partielle de 2008 dans la circonscription n° 8, le leader du MSM, Pravind Jugnauth, est élu avec le soutien du Parti travailliste.
En 2010, Le MSM en alliance avec le PTR remportent les élections générales. Cependant, en août 2011, l’alliance est rompue et le MSM quitte le gouvernement, laissant une très faible majorité au Premier ministre.
2012 à 2021: Retour à la politique active

Mal à l’aise avec le scandale Medpoint qui impliquait son fils, Pravind, qui avait été convoqué et arrêté par l’Independent Commission contre la Corruption sur des allégations de conflits d’intérêts, SAJ démissionne de son poste de président le 30 mars 2012. Il soutiendra être en désaccord avec la politique du gouvernement.
Peu après sa démission, on assiste à un « remake » de la coalition MSM/MMM, approuvé par les structures des deux partis. Anerood Jugnauth devient chef de l’alliance avec les mêmes conditions. Il occupera le poste de Premier ministre pendant trois ans avant de démissionner pour laisser la place à Bérenger.
Suite à une crise interne entre les deux parties, Bérenger annonce la fin du MSM/MMM en avril 2014. Plus tard, le MMM fera une coalition avec le Parti travailliste.
Le MSM, forme L’alliance Lepep, avec le PMSD et le ML, qui est un groupe de dissidents qui ont démissionné du MMM en raison de la coalition avec le Parti travailliste. L’alliance Lepep remporta les élections.
Le 12 septembre 2016, Anerood Jugnauth annonce qu’il démissionnera très bientôt de son poste de Premier ministre en raison de son âge avancé. Le 23 janvier 2017, il démissionne et nomme son fils Premier ministre. Il ne démissionnera néanmoins pas comme député. Il se verra ainsi confier le portefeuille de ministre Mentor, un poste qui n’existait pas auparavant. En juin 2017, en tant que ministre Mentor, il soutiendra Maurice dans sa quête pour un avis consultatif sur le dossier des Chagos, devant la Cour Internationale de Justice. La résolution de Maurice sur le dossier Chagos sera adoptée à l’Assemblée générale des Nations unies par 94 votes en faveur, 15 votes contre et 65 abstentions, indiquant que le Royaume-Uni devait rendre rapidement l’archipel des Chagos à Maurice. Une victoire historique pour Maurice.

Controverses
Anerood Jugnauth a fait l’objet de diverses controverses au cours de sa longue carrière politique. En 1983, il a été critiqué pour avoir brisé le gouvernement de coalition MMM-PSM et renversé le MMM du pouvoir. En 1984, il a été critiqué en tant que chef du gouvernement dans le scandale des Amsterdam Boys, qui impliquait 4 députés du gouvernement arrêtés alors qu’ils transportaient de la drogue en provenance des Pays-Bas. Il a prorogé le parlement dans le but d’empêcher toute question sur l’enquête. En 1988, il limoge Satcam Boollell, alors chef du Parti travailliste, en raison de désaccords politiques.
En mai 1992, un scandale a éclaté lorsque la Banque de Maurice a émis un nouveau billet de Rs 20 portant le portrait de Sarojini Jugnauth. Il était considéré comme un cadeau d’anniversaire d’Anerood à sa femme. Il s’agissait d’une controverse majeure au cours de laquelle Jugnauth lui-même a dû s’excuser devant le Parlement.

Quelques mois avant les élections générales de 1995 que le MSM perdra, le Sun Trust Building (propriété de la famille Jugnauth) est loué au gouvernement pour une période de 10 ans. Le nouveau gouvernement du Parti travailliste-MMM décidera de résilier le contrat, mais SAJ intentera une action en dommages-intérêts et reçoit Rs 45 millions à titre d’indemnisation.

Parlez-vous le SAJ?
En 1995, SAJ tient à ce que les langues orientales soient comptabilisées comme des matières optionnelles au Certificate of Primary Education, mais fait face à une fronde populaire. L’affaire est portée en Cour et cette dernière décide que cette décision est anticonstitutionnelle. Sir Anerood Jugnauth déclarera par la suite, que ceux qui avaient contesté cette décision étaient animés par « enn lespri diabolik ».
SAJ est aussi connu pour d’autres frasques verbales. En 1995 toujours, il décide d’abolir les subsides sur le riz « ration », en arguant que celui-ci ne servait qu’à nourrir les chiens des riches. D’autres expressions fleuries sont à noter comme le fameux « mo p**** ar zot » à l’encontre de ses adversaires politiques. Il tentera de se rattraper quelques jours plus tard, en disant que les journalistes vous font vous servir « d’un langage épicé ». En 2017, en visite à Rodrigues, il dira « Mo finn vinn isi pou fourni dilo mwa? » alors qu’il est interrogé sur le problème d’eau dans l’île.
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