L’Etat devra payer Rs 6 milliards à Betamax, après le jugement rendu par le Privy Council, lundi dernier. L’affaire Betamax relève aujourd’hui de deux décisions politiques majeures: la décision d’allouer le contrat à cette firme en 2009 par le gouvernement de Navin Ramgoolam et la décision de résilier ce même contrat, par le gouvernement de feu Sir Anerood Jugnauth. Deux décisions qui ont coûté et coûteront des milliards de roupies aux contribuables.
La State Trading Corporation (STC) dispose de moins d’une semaine à partir d’aujourd’hui pour honorer les réclamations financières à la hauteur de Rs 6 milliards à la compagnie Betamax, après avoir essuyé un revers, par le Judicial Committee du Privy Council, lundi 14 juin 2021.
Le gouvernement et l’île Maurice en général, se retrouvent par conséquent dans une situation compliquée où déjà les dépenses du Trésor public excèdent les revenus. En effet, outre une dette publique qui crève le plafond à Rs 419 milliards, représentant 95% du PIB, le pays sera en déficit budgétaire pour l’exercice fiscal 2021/22. Le déficit budgétaire était déjà de 5,7% du PIB en 2020/21, et devrait passer à 5% en juin 2022. Evidemment ces calculs ne prennent pas en considération les réclamations de Betamax Ltd.
A qui donc la faute?
2008/2009: Naissance de Betamax sous l’ère du Parti Travailliste
Il nous convient de rappeler que le dossier Betamax est et demeure le “bébé” du Parti travailliste (Ptr), plus précisément de son leader, Navin Ramgoolam. Ce dernier plaidait pour que Maurice obtienne son propre transporteur pétrolier, afin de permettre au pays d’être plus indépendant.

C’est donc sous son Premier Ministership fin 2008 (décembre), que Betonix Ltd, compagnie appartenant à la famille Bhunjun, se voit allouer le contrat pour l’approvisionnement de produits pétroliers à Maurice. Rajesh Jeetah, beau-frère de Veekram Bhunjun, occupait alors le portefeuille du Commerce.

Et en 2009, juste avant les élections générales, un autre contrat entre la STC et Betamax est signé, et ce, pour une durée de 15 ans. Soit le contrat pour la transportation (par le Red Eagle) des produits pétroliers cette fois-ci. Un contrat qui permettrait à la compagnie de Veekram Bhunjun, beau frère de l’ancien ministre rouge, Rajesh Jeetah, de générer pas moins de Rs 10 milliards au bout des 15 années de contrat.

A l’époque seul le MMM avait dénoncé avec force l’allocation de ce contrat. Le leader des mauves, Paul Bérenger, avait aussi attiré l’attention sur les dangers au cas où, le contrat est résilié. Car selon lui, c’était un contrat en béton. Les réserves et critiques émises par les mauves autour des conditions entourant la signature de ce contrat, qui profitaient selon eux, largement à la compagnie de Veekram Bhunjun, finissent par être confirmées en 2011.
Un rapport rédigé par Insight Forensics et déposé en 2011, fait état de plusieurs zones d’ombre dans l’exercice d’allocation de ce contrat. En premier lieu, le rapport pointe du doigt le fait que le Contract of Affreightment (COA) entre la STC et Betamax ait été signé en toute urgence, à l’insu du State Law Office (SLO). Le parquet avait notamment mis en exergue le fait qu’il y ait eu une totale abstraction de la Public Procurement Act.
Anomalies, pressions et précipitation
Mais, suite aux objections émises par le SLO, Navin Ramgoolam avait par la suite décidé d’instituer un comité ministériel présidé par son Vice Premier ministre et ministre du Tourisme d’alors, Xavier Luc Duval, et comprenant aussi le ministre des Finances, Rama Sithanen, et Asraf Dulull, alors ministre des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), et notamment Anil Bachoo, ministre des Infrastructures Publiques.

Il est finalement décidé de recruter la firme BDO dans un premier temps pour effectuer une évaluation de l’offre de Betamax Ltd à la STC. Et dans un deuxième temps pour une évaluation des coûts du projet. Les deux rapports seront soumis par le cabinet à la STC les 26 octobre et 26 novembre 2009 respectivement. Le comité interministériel était en copie de toutes les communications échangées entre BDO et la STC. La BDO affirmera dans ses conclusions que: « la plupart des coûts du projet proposés par Betamax Ltd semblaient raisonnables. »
Néanmoins un autre contentieux naîtra, car aucun appel d’offres n’avait été lancé pour ces études. De plus, BDO était également l’auditeur de Betonix, compagnie qui était actionnaire à hauteur de 85% de Betamax.
Le comité ministériel s’est finalement prononcé en faveur de Betamax. Autant d’éléments qui avaient poussé l’opposition à penser qu’il s’agissait d’un contrat taillé sur mesure.
Autre pomme de discorde, est l’exercice d’appel d’offres lancé en 2009 par le ministère des Infrastructures publiques en vue d’acheter un autre pétrolier. L’exercice d’appel d’offres avait en effet été lancé peu de temps après que Veekram Bhunjun, avait fini par faire l’acquisition du Red Eagle.
Insight Forensics avait notamment attiré l’attention des autorités sur le danger entourant l’utilisation d’un seul pétrolier pour transporter divers types de carburant à la fois. Une autre firme internationale, en l’occurrence Bent Nielsen, engagée dans la transportation des produits pétroliers avait aussi fait état des lacunes concernant les services proposées par Betamax.A l’époque, le Ptr, le MSM et le PMSD étaient tous en alliance. C’était motus et bouche cousus sur ce dossier. Jusqu’au jour ou Showkutally Soodhun, qui était alors ministre du commerce, balance cette déclaration à l’assemblée nationale: « Malgré toutes les précautions prises jusqu’ici, je dois informer la chambre que le risque de contamination des produits comme mentionnée par Bent Nielsen demeure un sujet de préoccupation ». Ces révélations faites par Showkutally Soodhun, lui avaient même, selon certains, coûté son poste de ministre du Commerce. Cela quelques mois avant que le MSM ne claque la porte du gouvernement en 2011. Entre-temps, la compagnie Betamax assurait déjà la transportation des produits pétroliers à Maurice.

2014/2015: Le MSM annonce la résiliation du contrat dans l’intérêt du pays
Les choses vont prendre une nouvelle tournure avec la victoire de l’Alliance Lepep en 2014. Le contrat Betamax était un des thèmes phares de la campagne du MSM et de ses alliés. Sir Anerood Jugnauth avait signifié ses intentions de revoir ce contrat, qu’il qualifiait de deal entre la famille Ramgoolam, Jeetah et Bhunjun.
Une fois au pouvoir, SAJ institua un comité, présidé par son ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo, pour se pencher sur les anomalies de ce contrat. Après quelque mois, soit en 2015, l’ancien ministre des Services financiers et de la Bonne Gouvernance, Roshi Bhadain annonce la résiliation du contrat entre la STC et Betamax, et ce, malgré plusieurs réserves émises à l’époque par les membres du parquet et des hauts fonctionnaires.

Mais rien à faire. Le gouvernement était bel et bien déterminé. Car selon Roshi Bhadain, avec la résiliation du contrat, le gouvernement faisait des économies de plus de Rs 2 milliards sur l’approvisionnement de produits pétroliers. Mais au final, cette décision allait provoquer l’effet inverse.

«Cette affaire concerne la State Trading Corporation et non le gouvernement», déclarera l’Attorney General d’alors, Ravi Yerrigadoo.
«S’il faut payer on paiera», lâchera SAJ au Parlement.
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